Alice, Brésil

Au pied de la croix

Alice nous raconte l’amitié avec Ninha, vieille amie du Point-Cœur, qui aime provoquer les nouveaux volontaires jusqu’à ce qu’elle laisse se révéler son vrai visage.

Grâce aux nombreuses années de présence des volontaires à la Corroa, la plupart des habitants sont habitués à commencer chaque année de nouvelles relations d’amitié. Parfois, ils ne désirent rien des nouveaux volontaires car les dernières relations étaient belles et fortes et les départs sont toujours une grande blessure. Ninha est une grande amie du Point-Cœur, elle passe une partie de ses journées à la maison, elle se préoccupe des volontaires comme de ses trois enfants. Pourtant Ninha a du mal à ouvrir son cœur aux nouveaux volontaires car elle connaît la douleur que provoque les départs des personnes avec lesquelles elle s’attache beaucoup.

Les premiers mois de visite n’ont pas été faciles : elle fait la tête, ne regarde pas les nouveaux volontaires et elle leur joue parfois quelques mauvais tours. Elle nous raconte en rigolant l’attitude qu’elle réserve aux nouveaux volontaires. Elle aime provoquer et l’image qu’elle me laissait d’elle pendant mes premiers mois de mission n’était pas très jolie. Et pourtant, vient un moment où elle abandonne l’attitude qu’elle jouait, elle entre en confiance et nous laisse découvrir la belle personne qu’elle est. Ninha a une certaine force. Pendant des années, elle a accepté tous les boulots qu’on lui proposait pour donner le meilleur à ses trois enfants qu’elle élève seule après avoir vécu une relation difficile avec le père de ceux-ci. Elle participe activement à la construction de sa future maison. Elle a décidé depuis peu de reprendre les études des années scolaires qu’elle n’a pas achevées.

Ninha a un cœur plein, plein à donner. Elle est la première personne qui va se lever tôt pour la- ver les habits d’une amie, pour aller visiter un proche à l’hôpital, pour donner son propre portable à celui qui a été volé, pour aller tirer de l’argent afin d’acheter des paquets de couches pour le bébé d’une famille qu’elle ne connaît pas mais dont la situation est compliquée. Je me rends compte que c’est un bon exemple de compassion. Ses gestes de compassion sont la conséquence d’une grande sensibilité qui la fait parfois souffrir. Sa vie est remplie d’expériences douloureuses.

Une belle amitié est née dans les moments passés à rire, à jouer avec ses enfants, à cuisiner ensemble, à nous disputer pour qu’elle mange des fruits et des légumes et pour qu’elle n’insulte pas toutes les personnes qu’elle rencontre dans la rue. Une autre relation encore est née à travers la prière. Ninha a un grand amour pour le Saint Sacrement. Et lorsqu’elle arrive avec une mine déconfite à la porte de notre maison, c’est pour aller directement dans la chapelle confier tout ce qu’elle a sur le cœur à Jésus puis, parfois plus tard, à l’une d’entre nous.

C’est auprès d’elle que je médite un peu plus le rôle de notre mission. Comme Marie au pied de la croix qui est restée jusqu’à l’expiration de son fils et qui l’a recueilli dans ses bras, je ressens encore plus ce besoin de lui offrir une présence dans ses moments difficiles et de l’aider à abandonner tous ses soucis au Seigneur.

« Consoler c’est éveiller, créer, faire naître, donner et pourtant appeler l’autre à ce qu’il a de meilleur, agir en lui, mais précisément par là, le rendre libre. La consolation délivre, dilate, mais de telle sorte que l’autre se redresse à partir de son propre centre et recommence… L’amour humain, vraiment pur et désintéressé, est sans doute capable de consoler ainsi. Mais il se trouve bientôt devant ses limites. Il n’est pas Dieu » Romano Guardini, Dieu Vivant.