Marie, Italie

La mamma napolitaine

Marie nous partage dans cet extrait la beauté de ces femmes napolitaines toutes données à leurs familles.

Ces derniers mois, j’ai été particulièrement touchée par les mamans. Ces femmes, mères, épouses, sœurs qui ont sué toute leur vie, triment à la tâche, ruinent leur santé au service de leur famille et se sacrifient par amour. Des femmes si fortes et imparfaites. Courageuses. Analphabètes mais capables d’éplucher des artichauts avec une virtuosité inégalée. Le corps déformé par la dure vie, les nombreuses grossesses, la cigarette, l’échine courbée par le travail, les mains écorchées et calleuses. Et leurs visages, des bouilles uniques, de combattantes, si mémorables, vraies, marquées par la vie. Le regard sérieux et lourd de celles qui ont vécu et connu le poids de la vie et du sacrifice. Elles prennent soin de la maison, des enfants, du mari, de la cuisine, capables de travailler de six heures du matin à dix heures du soir, d’éduquer cinq gosses, fare i servizi a casa (nettoyer la maison)… Leurs rares moments de repos étant les virées chez l’esthéticienne pour se faire les ongles ou les excursions chez le parrucchiere (coiffeur) pour rafraîchir leur teinture.

Maria. Maman débordée, si blessée par la vie, qui travaille maintenant de toutes ses forces pour faire manger ses cinq garçons. Il suffit d’une partie de scopone (jeu de cartes napolitain) pour la voir s’ouvrir et fondre, rire à gorge déployée et nous lancer des regards complices.

Chiara. Elle nous accueille toujours avec un sourire lumineux. Un jour, elle me demande en riant pourquoi je la regarde droit dans les yeux comme ça et affirme que nous sommes les seuls à la regarder ainsi : sans trouver les mots pour l’expliquer, elle se sent exister. Malgré son épuisement, son rythme de vie effréné dicté par ses quatre enfants très difficiles, elle réclame régulièrement des moments privilégiés les yeux dans les yeux.

Rosa. Simple et silencieuse. Elle écoute plus qu’elle ne parle et se laisse découvrir pian’ piano (petit à petit). Elle vient de perdre son travail à cause de la pandémie et s’est retrouvée seule chez elle à perdre son temps, manger, regarder la télé… Humblement, elle admet ne rien faire de bon lorsqu’elle est désœuvrée et livrée à elle-même. Elle s’enthousiasme donc volontiers des propositions qui lui permettent de sortir de chez elle et de se décentrer d’elle-même : nettoyer le chantier de l’Alpha Center, nous accompagner pendant les visites des amis du quartier, prendre un café au Point-Cœur et prier le chapelet avec les enfants… Quand je la vois s’investir pleinement, se mettre au service de tout son cœur et mettre toute son énergie dans ces moments, je suis bouleversée par son humilité à reconnaître sa faiblesse et son désir de donner du sens à son temps, à sa vie.

Paola. Jeune mère qui habite dans une minuscule maison en face de la nôtre et qui s’est récemment prise d’affection pour nous. Si attachante car très napolitaine, elle parle sans filtre, nous insulte avec plein d’amour, se moque tendrement de nous et nous fait des doigts d’honneur qui signifient « venez me voir plus souvent ». Derrière cette manière peu commune d’exprimer son attachement, il y a une soif de pré- sence et d’absolu. Paola ne travaille pas, elle passe ses journées à faire le ménage de tous les recoins de sa maison et s’ennuie profondément. Alors nos visites sont toujours des occasions d’égayer son quotidien, de rire à se tordre le ventre et de passer du temps avec des filles de son âge. Un jour, elle m’a appelée depuis son balcon et m’a mimé quelque chose que je n’ai pas compris, puis, devant mon air hébété m’a hurlé avec un grand sourire : « Sono incinta ! » (Je suis enceinte).

Rachele. Maman désespérée, rencontrée chez une amie, fermement décidée à avorter de son cinquième enfant. Le jour de notre première rencontre, je me suis retrouvée, avec Padre Raffaele, au milieu de cinq femmes, gesticulant, négociant la valeur d’une vie, pesant le pour et le contre. Je me suis sentie vraiment toute petite. Impuissante. Incapable de faire ni de dire quoi que soit si ce n’est réciter des Ave Maria silencieusement. C’est vidée de toute force que je suis sortie de cette visite. Padre Raffaele, confiant, nous a demandé de beaucoup prier pour cette femme. Miracle. Deux semaines plus tard, Rachele a changé d’avis, décidant finalement de garder l’enfant. Humble, elle reconnaît que cet enfant vit grâce à la prière. Depuis, je la rencontre partout et l’amitié grandit.

Tania. Elle vit aussi du charisme de compassion. C’est chez elle que nous avons rencontré Rachele, car sa maison est un vrai Point-Cœur. Viennent s’y ressourcer les femmes qui souffrent de solitude, les mamans débordées, toutes celles qui cherchent… Tania les accueille toutes, conscientes de faire partie de quelque chose de plus grand qu’elle.