Lucile, Honduras

La rose est sans pourquoi

Lucile nous partage son amitié avec Sharon, une adolescente qui vient chercher auprès des volontaires ce que sa famille ne parvient pas à lui donner.

Sharon est une jeune fille de quatorze ans. Elle vit avec sa grand-mère et d’autres membres de la famille (un frère, une demi-sœur, une tante). Sa mère vit dans une autre maison du quartier et fait assez peu cas d’elle. Comme beaucoup d’autres jeunes, elle subit des violences, est chargée de la cuisine, la vaisselle, la lessive, le ménage. Malgré la violence du monde dans lequel elle grandit, avec les gangs, les différends trafics, les descentes de police, la violence, la pauvreté, elle garde toujours une espèce de grande pureté. Son regard s’illumine pour la dernière étoile de la nuit, pour une fleur, pour la rencontre avec mes frères (qui sont venus me visiter jusqu’ici !). Que c’est beau de la voir s’empresser auprès de sa grand-mère pour lui raconter une rencontre. On avait organisé un après-midi pour tous avec un ami aveugle pour qu’il les initie au Braille. Sharon est venue et a été la plus attentive, fascinée de découvrir. Je l’ai accompagnée chez elle ensuite pour demander la permission de la grand-mère. Eblouie, elle raconte en détails cette écriture avec ses outils, ses points, son alphabet, etc., elle invite sa grand-mère à venir, pour partager la joie de cette initiation à quelque chose de nouveau. Cette joie et cette invitation sont d’autant plus belles que cette relation n’est pas si pure.
Quelle douleur de voir cette même grand-mère s’approcher, menaçante, avec sa ceinture à la main, et Sharon fuir en se cachant, en se terrant comme un chien battu. Un soir, on était dans la rue, à l’entrée du Point-Cœur, on faisait des tours en moto avec le frère de Sharon, elle était avec nous. On fêtait les vingt ans de Veronika, ma sœur de communauté polonaise. On passait du bon temps, on riait mais Sharon n’avait pas demandé la permission de sortir. Sa maison est à tout juste 20 mètres du Point-Cœur mais la grand-mère l’a attendue, ne l’a pas vue rentrer. Elle a fini par sortir pour la chercher. Elle était furieuse, sa ceinture à la main et notre joyeuse Sharon s’est littéralement liquéfiée. On a tout à coup sentit la peur. Elle s’est précipitée vers sa maison en rasant les murs. C’était terrible de voir cette jeune fille, auparavant si joyeuse, si dévouée à sa famille, aimante pour sa grand-mère, soudainement terrifiée.

Elle est comme une fleur qui naît au milieu du béton le plus hideux. Une rose magnifique, délicate, toute offerte. Qui éclot. On ne sait pourquoi elle est si belle, on ne sait pourquoi elle vient là, en ce lieu. C’est sans pourquoi, c’est gratuit c’est une merveille.