Anaïs, Grèce

Athènes pour des adieux

Anaïs nous introduit dans son amitié avec Edith, une relation qui a grandi au fil des épreuves de la maladie.

En juillet, je suis rentrée à Athènes pour quelques semaines. J’ai pu saluer notre amie Edith, qui s’apprêtait à décoller pour les Philippines pour son dernier voyage.

En janvier dernier, notre amie se plaignait de douleurs à la tête et de troubles de la mémoire. Il n’était pas rare de la retrouver dans la rue, désorientée. De nombreuses fois, elle a perdu les clefs de sa maison. Il est vrai qu’elle nous a toujours surprises par ses raisonnements embrouillés et ses histoires parfois farfelues. C’est pour cette raison qu’il nous a fallu du temps pour réagir. Plusieurs fois, nous l’avons accompagnée chez son médecin traitant, fatigués de la voir presque tous les jours, car celle-ci ne se souvenait plus y être passée la veille. Mais un soir, Johanna est rentrée et, ce jour-là, j’ai entraperçu son cœur qui aimait car elle était terriblement soucieuse pour notre amie : Edith n’arrivait plus à marcher, elle traînait sa jambe du côté droit, nous craignions un AVC.

La décision fut vite prise de l’accompagner le lendemain matin aux urgences. Après 7h à attendre dans le froid à l’extérieur de l’hôpital (mesures COVID obligées), les urgences annonçaient qu’elles fermaient, qu’il fallait se rendre dans un autre hôpital. Épuisée, nous raccompagnions notre amie chez nous et lui offrions, pour quelques heures, un lit pour se reposer. Entre-temps, nous appelions une ambulance, qui mettra trois heures à arriver. Je l’accompagnais, et nous partions pour un autre hôpital, l’un des plus grands CHU de Grèce. Après plusieurs heures d’attente, je la laissais entre les mains d’un neurologue. Après l’avoir examinée, le médecin me fit appeler : « Je ne trouve rien d’inquiétant chez cette femme ». Je lui rapportais alors tous les signes alarmants que nous avions détectés ces derniers mois. Je n’ai su par quel miracle cette femme me prit au sérieux, avec mon grec approximatif, mais elle envoya Edith faire une radioscopie qui révéla, quelques heures plus tard, un problème. Il nous fallait voir le neurochirurgien. Celui-ci était imbuvable, il ne daigna même pas regarder la radio, et nous renvoya chez la neurologue. Celle-ci ne put rien. Il fallait reprendre rendez-vous. Elle donna un traitement pour éviter les crises d’épilepsies et, déjà, nous rentrions.

Après deux mois de lutte pour se procurer les médicaments trop chers, pour reprendre rendez- vous chez le neurologue puis, pour une nouvelle radiographie plus détaillée, pour aller faire des tas de tests covid, pour subvenir aux besoins alimentaires. Bref, après une bataille médicale et un appel à la générosité de nombreuses personnes, notre amie était au plus mal, et il nous a fallu la raccompagner d’urgence à l’hôpital. Cette fois-ci, le diagnostic tomba. Edith avait des métastases aux poumons, au cerveau, et dans les os du bassin. Nous n’en revenions pas. Aucun médecin n’a pu diagnostiquer cela en plus de trois mois. Il semblait trop tard. Elle commença les chimios, elle contracta le covid, puis elle continua les traitements à domicile.

Lors d’une visite très émouvante, avant de partir en Afrique, j’étais avec Roki pour tenter d’expliquer à notre amie qu’il lui fallait, petit à petit, préparer son départ. En effet, son fils ne voulait pas accepter que sa maman soit malade, et elle était en plein déni. Nous l’encouragions au moins à préparer quelques démarches, au moins à prévenir sa sœur au Canada, qui viendra la rejoindre et prendre soin d’elle les mois suivants. À plusieurs reprises, nous avions pensé qu’elle s’éteignait. Les filles ont contacté les sœurs de Mère Teresa pour leur demander comment accompagner une personne en fin de vie. Mais Edith s’est à nouveau battue, et je la retrouvais, cette dernière fois, peu avant son départ. En effet, il n’y a plus d’espoir, elle a pris la décision avec sa sœur d’aller mourir aux Philippines, auprès des siens. Son fils de treize ans a rejoint son père, divorcé et vivant aux Etats- Unis.

En entrant dans l’appartement, elle me reconnaît. Le traitement a laissé des marques sur son corps boursouflé. Ses longs cheveux sont tombés, un fichu cache sa calvitie. Nous ne parlons pas, nous nous regardons, et bien vite, des larmes coulent sur nos deux visages. Je recueille enfin quelques paroles : « Je ne veux pas être une mauvaise mère, je n’ai même pas pu dire au revoir à mon fils. » Les mots manquent mais les larmes coulent. Puis, nous nous disons adieu. Pour l’heure, nous n’avons aucune nouvelle, nous savons seulement que sa sœur a regagné le Canada. Mais Edith et sa souffrance continuent d’habiter ma pauvre prière.