Anaïs, Grèce

Bonnie

Anaïs nous partage la lente agonie de leur ami Bonnie, qui souffre d’un cancer de l’estomac.

Mi-décembre, un de nos bons amis, Anselm, nous appelle pour nous demander de l’aide. Son ami, Bonnie, est très malade, il a besoin de soutien. Linda et moi partons lui rendre visite, Anselm nous rejoint. À peine assises dans le canapé, Bonnie nous partage sa détresse devant sa maladie. Des mois durant, il a cherché à savoir ce qui n’allait pas, de médecins en hôpitaux, aucun diagnostic ne le libérait de ses douleurs ventrales. Après quatre mois, il vient de recevoir la sentence : il a un cancer avancé de l’estomac qui ne lui donne que six mois à vivre. Il ne veut pas mourir et nous le répète, comme pour s’assurer que son heure n’est pas encore venue. À l’hôpital, il a reçu un rendez-vous pour son protocole de chimiothérapie fin janvier, mais il ne peut pas attendre, il veut se battre. Nous l’écoutons puis lui donnons les conseils tirés de notre expérience de ces dernières années à Athènes, à bien souvent courir les hôpitaux et nous démener pour soutenir nos amis malades. Il prend note de tout, et appelle un hôpital privé. Il sait qu’il devra payer cher, mais il souhaite débuter au plus vite un traitement pour avoir une chance de guérir. Seul depuis le décès de sa femme il y a vingt-quatre ans, loin de ses filles au Nigéria, il est désemparé devant la douleur.

Les filles passeront le jour de Noël prendre des nouvelles. Bien fatigué, il n’aura de cesse de les remercier de lui apporter un peu de joie. Puis deux mois d’un long silence. La semaine dernière, nous recevons à nouveau un appel d’Anselm : Bonnie est sorti de l’hôpital, il a besoin d’une personne pour veiller sur lui nuit et jour, il est très faible. Nous sollicitons des amis et Victorine se propose de nous accompagner. Elle travaille en ce moment comme femme de ménage dans une grande entreprise française, elle est payée 3,50€/heure, cela ne suffit pas pour subvenir à tous les besoins de sa famille. Nous sommes reçues chez Toni, un autre ami de Bonnie. L’électricité a été coupée chez notre nouvel ami et il fallait attendre plusieurs jours avant que ce ne soit remis en route. Toni a alors proposé de l’accueillir chez lui. Voilà dix jours qu’il est sorti de l’hôpital mais il vit une profonde agonie.

En entrant dans le salon, je le retrouve, méconnaissable. Bonnie a dû perdre une quarantaine de kilos, il est allongé sur le canapé, sans forces. Son visage est si amaigri, il ressemble à un vieil homme que la mort s’apprête à faucher. D’ailleurs, ses premières paroles ne le démentent pas : « Je n’en peux plus de souffrir. Je ne suis pas Jésus pour souffrir ainsi, qu’Il vienne me prendre ». Très émues, nous ne savons pas bien quoi dire, que faire. Je me retourne plusieurs fois vers Antonia, qui s’est laissée gagner par l’émotion, elle cache ses larmes en remontant bien haut son masque. Quelques nouvelles de l’Afrique sont données, mais c’est terriblement difficile de rester là, si proche de la croix de cet homme, sans pouvoir rien lui retirer de ses souffrances. Victorine, sentant notre propre peine, se met à poser des questions, à l’encourager, à recueillir des histoires que Bonnie n’avait encore jamais partagées. Il a bien du mal à parler, ses mots sont comme un souffle, mais il sourit. Il ne cesse de parler, de plonger dans ses souvenirs, de nous en donner le meilleur. Ses deux amis sont là aussi, ils souffrent tellement de le voir ainsi. Tout son corps est souffrant. Il vomit la soupe qu’il a mangé il y a deux jours déjà. Mais avec une joie très particulière, il nous abreuve de ses anecdotes que nous recevons comme son testament. Le lendemain, Bonnie est reparti à l’hôpital pour tenter de s’alimenter. Nous avons presque chaque jour de ses nouvelles, sans pouvoir encore lui rendre visite à cause des restrictions dues au covid. La dernière fois, dans un souffle de voix, il me disait : « Aujourd’hui, je vais mieux. »