Amélisse, Italie

Un verre d’eau

Amélisse nous fait part de cet instant partagé avec Maria, une rencontre si brève autour d’un verre d’eau avalé bien vite, et pourtant, une rencontre qui fut un événement dans sa vie.

J’aimerais vous parler de Maria, cette femme de trente-huit ans, petite blonde et maman de cinq garçons, qui habite dans notre rue. Elle ne vit plus avec le père des quatre premiers et Giuseppe, le père du petit dernier, est présent par période. Mais, depuis quelques mois, il n’est pas revenu… chassé par Maria parce que trop alcoolisé. Elle, elle parle seulement le dialecte napolitain, ne sait ni lire ni écrire et travaille d’arrache-pied tous les jours. Je la croise régulièrement devant les cours des immeubles qu’elle nettoie chaque matin et m’arrête de temps en temps boire un café chez elle.

Dernièrement, nos échanges étaient très intéressés car elle me demandait souvent un service de dernière minute (l’accompagner à la banque ou aller chercher son fils à l’école), dans le feu de l’action, avant qu’elle parte au travail ou au milieu des caprices de l’un ou l’autre de ses petits monstres. J’avais du mal à répondre à toutes ses sollicitations et j’étais préoccupée par mes propres limites, me sentant sans solution à son épuisement, son mal de dos, ses problèmes d’argent et de garde d’enfants. Je m’arrangeais pour l’éviter, fuyant les situations désagréables d’impuissance…

L’autre jour, je l’ai rencontrée par hasard en allant à la pharmacie. Elle était là, à l’entrée, avec Salvatore, son plus petit fils à la main. Le regard préoccupé, elle attendait de recevoir son médicament. Son attention oscillait entre les conseils du médecin et l’agitation de Salvatore. Elle avait besoin d’un verre d’eau, maintenant, pour prendre ce cachet. Mais où ? Son regard fuyait de tous les côtés. Un verre d’eau, elle a besoin d’un verre d’eau. Sans réfléchir, je rentre dans le premier magasin que je vois, un tatoueur rencontré quelques jours plus tôt, et ressort avec un verre qu’elle prend rapidement, toujours agitée. Une respiration et son regard se fixe sur le mien. La tempête se calme, elle sourit et notre échange de regard se fait plus profond. Elle est là avec ce même fardeau qui me faisait peur, mais, cette fois, je ne la fuis pas et accepte d’être simplement là, au seuil de la porte. « Merci », me dit-elle, puis ils s’éloignent sous le soleil brûlant de l’après-midi, au milieu du trafic bruyant des voitures.

Je les regarde marcher tous les deux et je suis émue. Elle est venue habiter au cœur de mon cœur d’une façon toute nouvelle. Quel est le sens de cette vie, pourquoi est-elle si difficile et si pesante ? Et je voudrais intercéder auprès de Celui qui lui a donné la vie : vois cette femme, vois cette mère, vois comme elle se donne pour s’occuper de ses garçons, vois sa dignité, vois sa force… vois son dos qui se déchire au travail, vois son corps qui s’abîme… entend ses plaintes, ses cris,ses demandes… et rend-la heureuse, sois sa force.